La longue route de l’Otter II

Jean « Jeany » Lumaye (promo 1974) Docteur en Education physique et ancien assistant à l’Institut est parti il y a dix ans pour un tour du monde à la voile. S’immerger dans son récit parfois agrémenté d’un passé simple délicieusement désuet : une bonne façon de s’évader en ces temps difficiles…

Otter II, le retour…comme déjà un pré-bilan.

           Partis de La Roche-Bernard (Morbihan) en juillet 2011, nous voilà en route pour le retour. Dix années de vagabondage à la voile à bord de notre cher Otter II, côtre de 43 pieds, de taille à l’échelle humaine, suffisamment confortable et surtout excellemment marin. Ce déplacement lourd pèse ses 22 tonnes quand il est en charge (réservoirs d’eau et gasoil pleins). Il nous a emmenés, ma femme et moi, aux antipodes c’est-à-dire au-delà de la ligne de changement de date (180° de longitude O/E). Nous y avions 12 heures de décalage horaire sur la Belgique ! Pour y arriver, nos chemins furent en dehors de la route empruntée classiquement par la plupart des voiliers en tour-du-monde qui se cantonnent dans les latitudes tropicales ou proches, latitudes où le confort de vie est optimal (t° de l’air et de l’eau). Ce sont les latitudes de farniente. Ce ne fut pas notre choix.

           Une fois l’Atlantique traversé, notre projet initial était de descendre le long des côtes d’Amérique du Sud pour rallier le Beagle, Ushuaia puis les canaux de Patagonie. Nous nous étions dits que nous ne deviendrions cap-horniers que si la météo le permettait – la sécurité a toujours été une priorité. Arrivés dans l’arc antillais, nous découvrîmes un univers étonnant qui sentait bon les épices et le rhum. Sous le charme, nous visitâmes les petites Antilles, y découvrîmes la richesse incroyable de ses fonds sous-marins. Ayant un compresseur d’air à bord, il nous fut aisé de plonger tout notre saoul dans des eaux dont la t° frisait parfois les 30°C ! Un délice. Pendant toute cette période antillaise, nous vivions beaucoup dans l’eau soit pour y pratiquer la plongée autonome, la plongée libre ou simplement pour nous y rafraîchir. La vie, là-bas, s’est écoulée toute douce sans presque s’apercevoir que le temps passait ! Seules les saisons cycloniques ont marqué des temps d’arrêt à nos pérégrinations, temps d’arrêt que nous utilisions pour revenir au pays revoir famille et amis. Autant cela me semblait évident à l’époque, autant, dix ans plus tard, cela devient impensable suite au grand coup de frein que la pandémie a mis aux voyages longs courriers.

           Revenus dans nos îles, nous pointâmes notre étrave vers le N et parcourûmes les îles vierges américaines et espagnoles avant de transiter par les Bahamas pour rallier la côte Est américaine. Nous clôturions ainsi la visite des Caraïbes, territoires de rapines de Barbe-noire et autres pirates dont un grand nombre de musées visités nous ont conté les exploits. Nous y avons dégusté et comparé tous les rhums de ces îles merveilleuses…  Vous aurez compris qu’au lieu de suivre notre projet initial tourné vers les eaux froides de Patagonie, nous optâmes pour l’opposé : les eaux froides de Nouvelle Ecosse, du Canada et de Terre-Neuve. La visite des îles de la Madeleine, de Québec et Montréal (en voiture de location pour les deux dernières), de St-Pierre-et-Miquelon restent les points forts de cette remontée vers les terres Inuits, sans oublier notre record de vitesse sur le fond réalisé en plein cœur du Gulf Stream qui nous propulsa véritablement, comme sur un tapis roulant, de Caroline du N à Halifax (10/11 nœuds sur le fond, cela ne nous est plus jamais arrivés !).

           Retour vers le Sud, l’Amérique et, dans le Massachusetts, Salem qui me laisse le double souvenir de la ville qui fut le siège du célèbre procès des sorcières au XVIIème siècle et celle des retrouvailles avec notre fille, venue en avion, partager un peu de notre périple américain : Boston, Rhode Island, Long Island, New York et le passage sous la statue de la Liberté, … Quels souvenirs forts ! Annapolis, Washington… « Au revoir Manon, on continue notre route et toi la tienne. Chacun sa route, chacun son chemin. Ce fut un véritable plaisir de t’avoir à bord !… » Pointant notre étrave vers le Sud, nous découvrîmes la route de migration des plaisanciers américains qui, pour éviter le grand large, « descendent » en Caroline et Floride par l’ICW (Intercoastal waterway), partiellement creusé pendant la guerre 40-45 pour ne pas interrompre le trafic maritime américain N-S, à l’abri des sous-marins allemands qui croisaient le long de la côte à l’affût d’une cible ennemie facile.

           Visite très surveillée de Norfolk en sortie de la baie de Chesapeake, célèbre lieu de combats navals durant la guerre d’indépendance. Les porte-avions, destroyeurs, torpilleurs,… ne s’y comptent plus tant ils sont nombreux ! Une vraie démonstration de la puissance maritime étasunienne ! Impressionnant. Au pays de la liberté, les armes font loi… L’image de l’Otter II, tout petit, perdu dans cet univers de ferraille « grisâtrement » agressive ne s’oublie pas…  

           De là, comme remise en jambes, on navigue en aller-retour sur les Bermudes, histoire de tracer le fameux triangle de triste réputation et de voir tous ces hommes d’affaires en costume-cravate et…bermudas, aussi étonnants qu’adorables… Retour par les Bahamas pour visiter les grandes Antilles hautes en couleurs, Puerto Rico, la Dominique et Cuba, leur culture, leur musique, les cigares… Suivront, sur notre chemin vers le Sud, les îles Caïman, le Mexique, le Guatemala. Entre-temps, lors d’un retour en Europe, nous avions mis le bateau à l’abri dans les Antilles néerlandaises, profitant de l’occasion pour visiter les îles Avès, Los roquès (îles vénézuéliennes).

           Cela en fait des milles et des milles parcourus en long et en large dans les

Caraïbes ! Nous descendîmes ensuite vers le Mexique et le Guatemala que nous visitâmes en sac à dos ; merveilleux pays s’il en est, qui nous gardera en son paisible Rio Dulce deux saisons consécutives. Le temps de visiter l’arrière-pays et de se préparer pour le grand passage ; celui dont on sait qu’il va être un point de non-retour. Il nous faudra, pour ramener le bateau au Pays, soit pousser toujours vers l’ouest et retour par le cap des tempêtes en Afrique du S (chemin classique), soit revenir par le Horn en profitant des vents dominants d’ouest. C’est cette dernière option que nous avons choisie pour clôturer notre découverte ô combien merveilleuse du paradis polynésien.

           Quelle chance fut la nôtre d’en avoir un peu fait le tour avant la pandémie qui perturba jusqu’à la qualité des relations avec les natifs pour qui ce fut facile de trouver un bouc émissaire : les plaisanciers !… C’était en oubliant tous ces polynésiens qui vont régulièrement dépenser leurs sous aux Etats-Unis mais bon, l’homme est ainsi fait et les voileux n’ont plus eu qu’à composer et trouver des solutions pour protéger leurs bateaux des cyclones. Un vrai casse-tête que nous n’avons fort heureusement pas vécu (seulement un peu de loin alors que nous étions déjà arrivés à l’abri de la Nouvelle Zélande). Nous avions laissé sur notre route les Gambier, l’île de Pâques (en avion), les Marquises, les Tuamotu, les îles de la Société, Tahiti, Niue, les Fidji, la Nouvelle Calédonie,… Nous en avons bien profité et dans des conditions qu’il faudra encore longtemps attendre avant de retrouver !

           Beaucoup de liens avec les populations locales devront se reconstruire, nous l’espérons, encouragés par l’avantage indéniable qu’ils peuvent – et sont obligés – tirer du tourisme. Ils doivent se rassembler derrière leur seule réalité, leur seule vraie richesse : leurs terres paradisiaques. Seule alternative : vivre de nouveau tout nus de la seule prolixité de leur environnement mais, pour cela, il leur faudra trouver des îles hors des chemins touristiques connus, question de retrouver un peu d’intimité !…

Aujourd’hui, 21ème jour de traversée, nous voguons vers notre rêve patagon et sommes à peine à la moitié du voyage. Nous devons finasser avec les 40èmes rugissants qui soit rugissent un peu trop fort à notre goût, soit se taisent et nous laissent sans vent !

           Ainsi va la vie du marin. Des journées de 24 heures entrecoupées de temps de vie, de temps de lecture, d’écriture, de méditation mais aussi de profonde réflexion sur la redécouverte de notre nouveau monde coupé d’internet – si ce n’est pour les gribs météo et le courriel – et, par conséquence, des réseaux sociaux. Il nous semble avoir gagné en richesse la notion de temps qui nous reste ce qui, à nos âges, commence à véritablement compter.

PS : et ci-dessous un lien qui permet de nous suivre

http://forecast.predictwind.com/tracking/display/OtterII

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